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Yoshiko
Suto Jeux de cartes sans joker
Ces nombreux poissons
ne nous rappellent-ils pas les phoques de Protée ? Ce demi-dieu
grec se transforme sans cesse pour échapper aux curieux qui lui
demandent de tirer les cartes pour leur prédire l'avenir. Le seul
moyen de le reconnaître est de le trouver au milieu des phoques
de Poséidon, qu’il garde. C’est un dieu joueur. Si Protée garde les phoques en troupeau, Frédéric Weigel travaille les représentations en série. Il commence par déterminer des règles de jeu : toutes les contraintes matérielles et situationnelles, ajoutées aux choix plastiques, peuvent être constitutifs des règles. Une fois qu’elles sont établies, il cherchera à découvrir toutes les possibilités pour jouer avec les limites qu'il s'est fixé lui-même. Ses productions, en l’occurrence le millier de Mots-Poissons, sont ainsi des traces de l’opération de parcours, de ses tentatives de visiter toute l’étendue du terrain de jeu. Il visite mais il ne fait pas du tourisme. Il cherche quelque chose, tout en sachant que cela n'existe pas. Peut-on appeler ses trajets « errances »? Dans son travail, il erre comme le fait sa propre représentation dans sa programmation informatique intitulée A la recherche du dieu patate. Dans ce jeu-vidéo, il convoite un dieu qui n'existe pas. Il déambule sans finalité. Son terrain de jeu est constitué de mondes multiples qui s'articulent sans hiérarchie entre eux. Ce vidéo game n'a ni level, ni game over. De même, dans ses travaux en série, il ne cherche pas à produire le seul et meilleur élément, mais des éléments, car un tel travail suppose l’égalité entre les productions . Il n’y a pas d'échelle de valeur entre les éléments. Ainsi, si le spectateur
essaie de trouver le poisson idéal dont tous les poissons sont
les variants, comme un linguiste travaillant sur le corpus élaboré
à partir des textes de Maupassant, il fera des efforts en vain.
Toutefois cela ne veut pas dire que les éléments n’ont aucune
autre valeur que celle de constituer une série. La généralisation
rapide serait au détriment de la puissance de chaque élément
singulier. L’accrochage de la
série des Mots-Poissons nous évoque ce jeu de construction.
Chaque carte est rangée dans une boîte. Les boîtes
s’entassent, s’imbriquent, en formant un agrégat. L'ensemble des
cartes est une accumulation d' individuables, plutôt qu'un tout
insécable. Si la force de chaque carte est d'ordre qualitatif,
celle de l'ensemble serait d'ordre quantitatif. Le remplissage de mur
avec ses nombreux dessins constitue ce qu'il appelle « magma »,
le topos de jeu qu'il construit. Dans ce monde en effervescence, s'agitent
ses créatures amphibies.
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